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Le Seder de Pessa’h est un moment incontournable du calendrier juif. Quelque soit leur niveau de pratique, les membres d’une même famille, les amis, les proches se retrouvent autour de la table, le temps d’une soirée, racontant la Sortie d’Egypte selon le récit traditionnel de la haggadah et consommant les plats traditionnels. Lors de cette soirée, nous lisons dans la haggadah ce passage tiré de la Michna (Pessa’him 10:5) qui ne manque pas de questionnement : « Rabban Gamliel avait l’habitude de dire : Quiconque ne fait pas mention de ces trois choses lors de la soirée pascale n’a pas accompli son devoir, à savoir : Pessa’h (le sacrifice pascal), Matsa (le pain azyme) et Maror (les herbes amères). » (Michna Pessa’him 10:5)
Que veut dire Rabban Gamliel quand il enseigne qu’il n’a pas accompli son devoir? Est-ce pour nous signifier que la simple consommation de ces aliments est suffisante ou bien faut-il expliquer la signification de ces trois items? De plus n’aurait-il pas fallu plutôt enseigner ces trois choses dans un ordre différent, plus en adéquation avec la chronologie des évènements, à savoir le Maror, les herbes amères, symbole de la vie amère des israélites en Egypte, puis le korban pessa’h, le sacrifice pascal correspondant à ce qu’il s’est passé cette nuit là pour terminer avec la matsa, le pain azyme, symbole de liberté retrouvée, qui fut cuit le lendemain matin?
En préambule, il convient de rappeler que si nous rejouons la scène de Pessa’h chaque année c’est uniquement pour montrer que l’histoire de la sortie d’Egypte est en réalité l’histoire du peuple juif et sa destinée en tout temps. Ces trois mets ne sont pas là seulement pour être consommés mais aussi en tant qu’ingrédient participant à la mitsva de Sipour Yetsiat Mitsrayim, le récit de la sortie d’Egypte. Le message porté par l’aphorisme de Rabban Gamliel n’est pas de rappeler l’histoire mais plutôt la hiérarchie d’importance des mitsvot. Le korban pessa’h (le sacrifice pascal) est la mitsva principale de ce jour, tandis que la matsa et le maror sont liés à lui comme nous le lisons (Chemot 12 :8): « Il sera mangé avec les matsot sur le maror ».
La consommation de la matsa est la deuxième mitsva la plus importante du fait qu’elle est citée par la torah une autre fois indépendamment du sacrifice (Chemot 12:18). Quant au maror, complètement dépendant du sacrifice pascal, il n’est pas écrit dans la Torah de le manger seul. Du fait de l’impossibilité de manger le Korban Pessa’h, la consommation du maror n’est accomplie aujourd’hui que par décret rabbinique et est donc mentionné en troisième position pour cette raison par Rabban Gamliel.
Le récit de la sortie d’Egypte est un mélange de consommation de mets symboliques, d’histoires et d’étude de la Torah. C’est la fusion des fonctions physiques (manger et boire) et de l’expression verbale, entremêlant à la fois le plaisir du corps avec celui de l’esprit. Manger l’agneau (à l’époque du Temple), le pain azyme et les herbes amères constitue à chaque fois une double mitsva. C’est à la fois la mitsva de la consommation, ordonnée par la Torah, et l’instrument par lequel le récit de la sortie d’Egypte peut être engagé.
Nous racontons l’histoire à la fois avec ce qui rentre et ce qui sort de notre bouche. En outre, afin d’accomplir la mitsva de la manière la plus parfaite, nous ne pouvons pas nous contenter de manger mais également d’expliquer la symbolique du korban pessa’h, de la matsa et du maror. Par cette combinaison de l’action et de la parole, nous nous conformons ainsi à ce qui est enseigné dans la suite de la michna : « Dans chaque génération un homme doit se considérer comme s’il était lui-même sorti d’Egypte ». Il ne suffit pas de raconter la Sortie d’Egypte, il faut aussi être en mesure de pouvoir la vivre de tout son être.
Pessa’h Cacher vessamea’h
Rabbin Emmanuel Valency
Rabbin de Bayonne-Biarritz
Rabbin de la région Sud-Ouest