ROCH HACHANA 5778
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L’une des particularités du calendrier juif est de considérer séparément le compte des années et celui des mois. Ainsi, c’est par le mois de Tichri, dont le premier jour – Roch Hachana – est l’anniversaire de la création du monde ou, plus précisément, de celle de l’homme, que débute l’année juive.
Mais d’après le compte des mois qui commence par Nissan, Tichri n’arrive qu’en septième position. Curieusement, il semble que la Tora accorde une importance accrue à ce second registre, tout au moins en ce qui concerne Tichri, qu’elle n’appelle, en effet, jamais autrement que «Ha’hodech Hachevii» -le septième mois. C’est peut-être que cette perspective met en valeur la centralité de ce mois au sein de l’économie du judaïsme : lorsqu’une année est embolismique, c’est à dire composée de treize mois, Tichri se retrouve ainsi, exactement, en situation
médiane.
Bien des auteurs ont insisté sur la signification exceptionnelle revêtue par le nombre 7 dans la pensée juive : importance symbolique, cosmique, métaphysique et mystique. Le Midrach, quant à lui, dit simplement de ce nombre qu’il est chéri par D.ieu : « Tous les «septièmes» sont chéris au ciel : …
Parmi les années, la septième est chérie : «et la septième, tu la laisseras en repos et l’abandonneras» (Exode 23,11). Parmi les jours, le septième est chéri : «et D.ieu bénit le septième jour» (Genèse 2,3). Parmi les mois, le septième est chéri :(Nombres 29,1) «et au septième mois, le premier du mois» »(Yalkout Chimeoni – 276).
La manifestation la plus concrète et la plus évidente de la sainteté de ce mois est, sans conteste, sa richesse en
solennités : il ne compte pas moins de douze jours de fête (en Israël seulement onze). Les Sages ont, à ce propos, remarqué l’affinité linguistique qui existe entre les radicaux «Chéva»-sept– et «Savéa» – repu, rassasié – : «Chévii -parce qu’il est repu de Mitsvot : le Chofar (à Roch Hachana), Kipour, la Souca, la branche de saule.» (ibid. – 645).
Chacune des fêtes qui jalonnent Tichri est dotée, en effet, de prescriptions qui lui sont propres et grâce auxquelles elle revêt un cachet très personnel. Pour cette raison, l’ensemble du cycle ainsi constitué, représente pour l’observant un parcours des plus délicats, obéissant à une progression méticuleusementorchestrée. Plongé dans des champs de spiritualité très différents, il doit subir le choc d’émotions diverses pour ne pas dire contradictoires. L’acceptation fervente du joug de la Royauté divine, à Roch Hachana, suivie par le repentir et la purification morale à Yom kipour, débouche, à Soucot, sur la
joie débordante, presque irréelle, de vivre au service de D. En aucun autre mois de l’année, le cœur du juif est appelé ainsià vibrer avec une telle intensité.
Il serait, cependant, totalement erroné de considérer cet itinéraire comme une entité qui prendrait fin, en apothéose, avec les derniers jours de fête, Chemini Atséret et Sim’hat
Tora. C’est, en réalité, tout le contraire. Tichri n’est qu’un début : pour remplir parfaitement sa mission et son rôle, il se doit de rejaillir et d’influencer les onze mois qui le suivent.
Les résolutions prises, la ferveur, l’inspiration et l’élan acquis à l’occasion des fêtes, doivent
voir préserver leur vivacité tout au long de l’année.
C’est peut-être pour ancrer cette idée fondamentale dans la conscience juive que les
Sages d’Israël, au retour de la déportation de Babylone, ont donné à ce septième mois le nom de Tichri -construit à partir de la racine araméenne «Chari» qui signifie commencer.
Dans cet esprit, les cabalistes font également remarquer que Tichri est l’anagramme du mot Réchit dans l’expression du Deutéronome (II, 12) : «Méréchit Hachana»- le début de
l’année.
En vérité, cette leçon est particulièrement illustrée par Chemini Atséret, «la fête de clôture», dont elle permet de mieux cerner la signification. Il est remarquable, en effet, que la Tora n’ait doté ce jour, pourtant considéré comme une fête en soi, qui succède à Soucot, d’aucune Mitsva spécifique.
Mais c’est que, en ce mois de Tichri, l’homme, insensiblement, s’est détaché de sa vie terrestre et matérielle : l’acquis spirituel n’a pu se réaliser qu’au prix d’une certaine coupure avec la réalité. Cette existence légèrement irréelle est symbolisée par l’habitation dans la Souca, demeure précaire qui n’est pas sa véritable maison, et qui se trouve placée plus directement sous la protection divine. Cependant, on ne saurait vivre une année entière dans l’intensité d’un Yom kipour, ni dans l’ardeur et l’idéalisme de la joie de Soucot.
Aussi convient-il de capitaliser cet acquis, de «stocker» ce regain d’énergie et de vigueur spirituelles, de préserver cette proximité, cette intimité avec D.ieu en vue de l’après-Tichri. C’est pourquoi, à Chemini Atséret nous quittons la Souca pour réintégrer notre maison, et toutes les réalités de la vie quotidienne qui s’y attachent, tout en continuant à approfondir notre relation avec le Créateur : c’est nous, cette fois, qui invitons D.ieu dans notre foyer ! (cf.Midrach Raba, Nb. 21,22) «Atsor», disent les commentateurs, signifie retenir et réunir :
à Chemini Atséret, nous récoltons, nous emmagasinons, nous conservons…
Premier et central, tel est le mois de Tichri. Au chapitre 8 du premier Livre des Rois (v.2), il est encore appelé : «Yéra’h Haétanim» -le mois des forts. C’est en Tichri qu’on recouvre
toutes ses forces, qu’on les stimule et qu’on les développe; et qu’on fait provision de l’énergie, la résistance, la robustesse, la solidité, morales et religieuses, qui permettront de faire de l’année nouvelle une année de réussite et de bonheur.
Chana tova oumevorékhet !
La place du mois de Tichri dans le calendrier juif
Rav Michel Gugenheim
Grand Rabbin de Paris